J'ai toujours eu du mal à me concentrer.
Je me souviens encore des doigts fripés de ma prof d’histoire claquer devant mes yeux égarés pour me faire revenir sur Terre. Clac. Je me souviens aussi de cet air de reproche et sa ride du lion rugissante au milieu de son front comme si j'avais fait quelque chose de mal.
À ce moment là moi, je suis déjà loin. Partout sauf ici. Ailleurs.
Je ne lui en veux pas.
Ni pour les mauvaises notes, ni de n’avoir pas su détecter Cyril, mon TDAH. Après tout il faut se remettre dans le contexte, nous sommes dans les années 90, rares sont les troubles qui sont diagnostiqués et chanceux sont ceux qui reçoivent de l'aide. Pour les autres, les "dissidents", c'est fichu d'avance, les jeux sont faits, fermez le rideau le spectacle est terminé.
À l’école, rien ne va plus.
Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on m’enseigne ce qu’on m’enseigne et pourquoi on me l’enseigne de cette manière. Rien n’est logique, j’ai des milliers de questions, mais personne pour y répondre.
Il y a toujours cette question qui revient : pourquoi ? Avec le recul, c'est devenu une force, c'est ce qui me pousse à aller au fond des choses.
Le français, sans surprise, reste la seule matière qui parvient à me captiver. La puissance des mots me fascine. Je les trouve beaux. Certains sont plus beaux que d’autres, mais je les aime tous de la même manière. Un amour inconditionnel.
J'aime peser chaque mot, les chercher, les étudier, les sentir et bien sûr, les choisir aussi. Par conséquent, parler me pénalise, logique quand on y pense. C'est bien sûr pour ça que j'aime tant écrire.
J'aime aussi tourner les pages et sentir le papier rugueux sous mes doigts. C’est quelque chose que je n’explique pas. Certains aiment l’odeur de l’essence, ils ne l’expliquent pas non plus.
Ma plume est ma voix.
Bon, il est clair que je ne rentre pas dans la case. Rien à faire, ça ne passe pas. Mon trouble est trop large ou bien c'est la case qui est trop petite, je ne sais pas.
Problème ! Les enfants qui ne rentrent pas dans la case sont malheureusement vite relégués au statut de “Ne fera rien de sa vie”. Point final, fermez les guillemets. 6 petits mots tamponnés à l’encre rouge, indélébiles, sur leur fiche d'existence.
J’étais fichée.
C’est donc avec cette conviction que je me construis - Je suis idiote, je ne ferai rien de ma vie. Roger that, Bien noté.
Pourtant, au fond de moi, une flamme est en train de vibrer. Ça bouillonne, comme un volcan sous pression, prêt à jaillir.
Ce volcan, c'est Marylin-mon ambition. Elle attend en coulisses dans l’espoir de pouvoir monter sur scène et de commencer à briller. Enfin. Maquillée, coiffée, habillée, elle est prête à percer. Son grand moment va arriver, elle le sait.
Mais les mois puis les années passent et rien. Elle s'agite, s’impatiente, s'enrage, dissimulée derrière le lourd rideau qui la sépare d'une gloire certaine. C'est tellement frustrant. Elle a envie d'hurler, de crier, de sauter, de pleurer.
L’espoir se transforme petit à petit en désespoir. Personne ne viendra la chercher.
Une question de survie, comme l’air, d’après feu les L5.
Si tu n'as pas la réf, pas de panique, c'est très probablement parce que tu es né.e après 1998.
Quelques années plus tard, je comprends vite que ce n'est pas en France que je vais pouvoir m'accomplir et c'est donc avec le coeur lourd que je décide de partir avec Marilyn dans mes bagages. Marilyn & Hélène, le duo de choc. Un peu comme Thelma et Louise, Jack et Rose, la fin en moins, j'espère.
Il est temps de fuir ce système français que je juge dogmatique et stigmatisant, pour tenter ma chance à Londres. Pré-Brexit, la capitale anglaise promet alors une infinité d’opportunités pour une française qui, comme moi, est déterminée à conquérir le monde.
Alors on s'en va, parce que c'est une question de survie. Il le faut.
Les premières années sont merveilleuses. Pour la première fois, on me donne ma chance. J’ai même l’occasion de travailler pour l’ONU pendant 3 ans, moi, la petite fille qui parlait beaucoup trop vite, qui se cachait derrière ses cheveux, avec le mot impossible gravé sur la peau. Je n'en reviens toujours pas.
33 ans, retour de Saturne un peu en retard.
Tout va bien jusqu'à ce que Chantal débarque un matin de janvier et s’installe, sans vraiment demander l’autorisation. Je lui ouvre la porte, on fait connaissance et elle m’explique alors qu’elle et moi on va cohabiter, mais que ce sera pour mon bien.
Je lui demande si j’ai le choix. Elle me répond que non. Très bien.
Elle commence par me demander :
"- Qui es-tu ?"
"- Tu sais qui je suis."
"- Moi oui, mais est-ce que toi tu le sais ?"
Il apparaît rapidement que non. Premier drame.
Elle enchaîne ensuite par :
Qu’est ce que tu veux faire de ta vie ?
Je veux écrire.
Pour quoi faire ?
Parce que c’est ce qui m’anime. C’est mon exutoire, un moyen de rêver et d’échapper à ma réalité.
Non. J’ai dit, pour quoi faire ?
Ok, ok.
Attention, moment Robin Williams dans Le Cercle des Poètes disparus. Si tu n'as toujours pas la réf, je ne peux plus rien faire pour toi.
Crak, c'est le bruit que fait ma chaise lorsque je monte dessus, les pieds joints.
Oh Capitaine, mon Capitaine ! Au fond, je crois que si je veux écrire pour montrer qui je suis vraiment et être reconnue comme une rédactrice de talent. Je veux prouver au monde que je suis capable de réussir ma vie, sans demander la permission. Je veux montrer qu’il est possible de réussir, même quand personne n’y croit. Défier l'impossible, en somme. Je ne sais pas faire d’équation au 3e degré. Je ne connais pas la date du traité de Versailles ou combien il y a d’éléments chimiques. Mais il y a un truc que je maîtrise : écrire. Et aider les autres à le faire.
Les mots sont mes armes.
Je veux prêter mes mots à ceux et celles qui n'en ont pas.
Chantal me quitte quelques mois plus tard, son travail est terminé. Je sais désormais qui je suis, ce que je veux et pourquoi. Je sais que je veux écrire pour gagner ma vie. Mieux ! Je sais que je veux raconter l’histoire des autres avec force et conviction.
Parce que raconter une histoire, c’est partager.
Partager, pour transmettre et faire passer un message.
Un message pour créer du lien.
Créer du lien pour se connecter et pour rassembler.
Partager dans le sens, raconter. Raconter sa vie, mais aussi raconter son ambition, sa vision.
Et partager, dans le sens se réunir autour de valeurs communes.Entre être humains, nous sommes tous connectés d’une manière ou d’une autre. Et, fatalement, raconter son histoire c’est créer du lien. Des connexions. C’est donner envie aux autres d’embarquer avec nous, sur le même bateau. C’est avancer ensemble dans la même direction, vers un objectif commun.
Les gens n’achètent plus un service ou un produit, ils achètent des relations. Une histoire. Cf Seth Godin, expert en Marketing.
En avant les histoires.
Aujourd’hui Marilyn est heureuse et moi aussi. On s’épanouit pleinement toutes les deux, main dans la main. Les belles collaborations s’enchaînent. Les belles histoires aussi. Je suis à ma place et je suis en train de faire quelque chose de cette vie. Qui l'aurait crû ? Pas moi.
Depuis, je me suis formée au copywriting puis au storytelling et aujourd’hui j’aide les professionnelles du bien-être à se vendre grâce à une page de vente qui leur ressemble.
The End.
Cyril : Le Trouble du Déficit de l’Attention et de l’Hyperactivité (TDAH)
Marilyn : Mon ambition, habile et courageuse, qui ne demande qu’à briller.
Chantal : La crise existentielle, autoritaire et impitoyable.
Et dans le rôle principal : Moi-même, timide, maladroite, peu confiante, un peu rêveuse, mais ambitieuse tout autant.
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